Odyssée psychologique # 1 : Les derniers mots que je lui ai dits

Ce jour là, une de mes collègues aide soignante du service d’oncologie est venue toquer timidement à la porte vitrée de mon bureau. Elle venait d’interrompre sa tournée de distribution de goûters pour me trouver, agitée et inquiète.

« Madame (…) est en train de partir… Elle est très angoissée et ne veut pas d’anxiolytique parce qu’elle veut rester lucide pour attendre ses enfants. Est ce que tu peux rester avec elle le temps qu’ils arrivent ? Nous on peut pas. »

Il faut dire que les effectifs de soignants avaient été réduits au cours de ces derniers mois, et leur disponibilité en avait pris un sacré coup…

Cette patiente, je la connaissais depuis quelques années déjà, depuis mon arrivée dans la clinique en fait. Elle était jeune, marquée par son cancer, et par une Histoire de vie complexe et difficile. Ses enfants n’avaient pas tous atteint la majorité.

Cet après-midi là, son état cardio-respiratoire s’est brusquement dégradé et la consigne, mûrement réfléchie et à sa demande, était qu’elle ne serait pas réanimée.

Accueillie par son sourire, je me suis assise auprès d’elle, sur un repose pieds faisant office de tabouret, pas très confortable.

Elle m’a demandé de lui parler, de ne pas la laisser seule face au silence, de ne pas laisser ses pensées s’entrechoquer dans sa tête et l’angoisse s’installer dans son corps.

Ses yeux sont restés mi-clos, sa respiration irrégulière, et son attention maximale, centrée sur les moindres sons qui nous entouraient.

Puis elle a pris ma main posée sur le lit pour y blottir la sienne au creux de mes doigts, comme pour me signifier qu’elle était toute ouïe, secure.

J’ai commencé par évoquer des banalités, le temps qui était en train de changer, ses enfants qui étaient en route, les visites qu’elle avait eu ces derniers jours, les objets qui se trouvaient dans sa chambre tout autour de nous… que des choses qu’elle savait déjà…

Et puis un vent de tristesse m’a saisi fort, dans la gorge et dans la poitrine.
Oui j’étais évidemment triste à l’idée de sa mort prochaine, mais mon ressenti ne venait pas de cette tristesse là…
J’ai alors réalisé que ces mots étaient potentiellement les derniers qu’elle entendrait.

Alors avec quoi avais-je envie qu’elle parte si elle devait mourir à mes côtés, avant que ses enfants arrivent ? Certainement pas avec ces banalités là…

Est ce qu’elle avait envie que je lui reparle de tout ce que nous avions pu aborder ensemble ? Une forme de bilan pour avoir une pseudo vue d’ensemble de sa vie et des personnes importantes qui la constituent…
Est ce qu’elle préférait que je lui raconte la vie du service et des personnes qui prenaient soin d’elle ? Elle qui m’avait si souvent fait part de sa gratitude et admiration à leur égard…

La moindre réponse lui demandait un effort extrême, elle hochait lentement la tête sans ouvrir les yeux, chuchotait.

Je me suis alors mise à lui parler des humains derrières les blouses blanches qu’elle côtoyait.
Je voyais apparaitre de temps en temps un sourire au coin de ses lèvres, ça m’encourageait à poursuivre dans la légèreté et les anecdotes de la vie du service où elle a passé tant de temps.

Je lui ai aussi rappelé ce jour où, dans mon bureau, nous avions ri aux éclats fort, très fort. Si fort que nous avions été interrompues par la cadre du service, soucieuse de ce qui se passait, nous rejoignant très rapidement par contagion dans les méandres du rire.

Elle a soupiré, son sourire s’est amplifié.

Et puis son fils cadet est arrivé, il pleurait. Je l’ai invité à s’assoir à ma place, lui ai demandé s’il préférait attendre ses frère et soeur seul avec sa maman.
J’ai dit au revoir, avec le coeur, encore plus que d’habitude, sachant au fond de moi qu’il n’y en aurait peut être pas d’autre.

Dire au revoir aux collègues, terminer les transmissions, déposer ma blouse pour partir en week-end… réalisant le contraste et le décalage entre ma trajectoire du jour et celle de la famille que je venais de quitter.

J’ai appris plus tard que cette dame était décédée dans la soirée, paisible et accompagnée par ses enfants : les êtres qui comptaient le plus à son Monde.

Ce jour là, en écho, cette famille m’a offert une nouvelle occasion de (re)prendre conscience de l’importance de ceux qui comptent le plus à mon Univers…

Et toi ?! Qui est si important à ton Monde ?!

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2 réflexions au sujet de “Odyssée psychologique # 1 : Les derniers mots que je lui ai dits”

  1. Salut à toi mon amie. Merci. Je suis stupéfait de ton professionnalisme et de ton parcours.
    J’ai sans formation accompagné des gens au bout. J’aurai tant aimé avoir ces connaissances au moment de ce grand départ.
    Je l’ai fais avec mes mots , mon empathie, mon savoir vivre. J’aurai aimé accompagner mon ami au lieu de laisser agir la colère cette été.
    Mais il n’y a pas de place pour les regrets. Je suis là.
    J’espère, comme toi, avoir la force d’arriver au bout du défi que je me suis lancé.
    Merci pour ce témoignage poignant. Je te souhaite bon vent dans tes projets. Tu y arrivera, tu surmontera tes peurs, tes doutes. Tu le fais surmonter au autres, alors ne doute pas de toi Marie Mercier.

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