Est-ce que la psychothérapie EMDR a sa place en cancérologie ? Pour qui, pourquoi et comment est-elle applicable ?

J’ai écrit précédemment un article sur la psychothérapie EMDR  (que je t’invite à lire si ce n’est pas déjà fait), et dans ce nouvel article j’aimerais partager mon expérience de cette approche thérapeutique appliquée à la cancérologie. 

Petite précision vraiment primordiale à poser avant d’aller plus loin

La cancérologie est une spécialité qui est encore de nos jours connotée de manière très négative.
Alors oui, il existe des histoires tristes et difficiles, mais il y a aussi beaucoup d’histoires qui se terminent bien, et de celles-là, nous avons tendance à moins en parler, puisque ça va bien ! 

C’est ce qui va se passer dans cet article qui est basé sur un peu de littérature, et surtout sur ma pratique clinique. Car dans mon travail, il est très très rare que je rencontre des personnes qui d’emblée vont bien, mais ce n’est pas parce que je ne les vois pas (parce qu’elles ne viennent pas rencontrer la psychologue) et que je ne vais pas en parler ici, qu’elles n’existent pas ! 🙂

Reprenons d’abord quelques chiffres de la cancérologie pour mieux se situer : 

Le cancer est la 1ère cause de mortalité en France, et au cours des 25 dernières années, nous avons pu observer une augmentation des cas de plus de 89% selon une étude de l’Institut de veille sanitaire !!! 
Il faut dire que notre mode et rythme de vie ont beaucoup évolué, tout comme les techniques d’imagerie et de diagnostic. 

L’étude suédoise menée par l’équipe de Fang et al. en 2012 a pu mettre en évidence deux corrélations entre l’annonce de la maladie cancéreuse et son impact sur la santé physique et psychique :

  • Le risque de mort par maladie cardio-vasculaire est 5,6 fois plus importante au cours de la semaine de l’annonce du cancer, et plus de 3 fois plus élevé dans le mois qui suit par rapport à la population générale.
  • Le risque suicidaire quant à lui est 12 fois plus important durant la semaine de l’annonce et 3 fois haut dans l’année qui suit ! 

Autant d’indices qui laissent présager le traumatisme que provoque l’annonce et tout ce qui s’ensuit : une fracture béante dans le quotidien, un tsunami que l’on n’a généralement pas vu arriver, un bouleversement identitaire… environ 35% des patients développent un état de stress post-traumatique en lien avec l’annonce ou les traitements. 

Mieux comprendre le parcours de soin des patients  

Au commencement :

Au commencement, c’est l’inconnu. 
Parfois le mot « cancer » a déjà été prononcé et il est important d’investiguer pour avoir toutes les données nécessaires pour proposer un traitement sur-mesure.
Parfois il ne l’a pas encore été car certains médecins préfèrent annoncer le plan de traitement personnalisé (PPS) en même temps que la maladie.
Parfois encore les patients savent déjà, même avant d’avoir consulté …

Au commencement donc, c’est l’entrée dans le monde médical, c’est l’établissement du diagnostic complet, et pour cela, il est important de faire plusieurs examens médicaux selon l’organe et la zone anatomique concernés. 

Bilan sanguin, biopsie, ponction, scintigraphie, TEP-scan, IRM, scanner, radiographie, coloscopie, fibroscopie, gastroscopie, ….

Autant d’expériences et de mots parfois nouveaux, souvent anxiogènes voire traumatisants, toujours avec des délais d’attente plus ou moins vécus comme interminables. 

En guise de préparation aux traitements :

Une fois le diagnostic posé et annoncé, quand le traitement est enfin déterminé (discuté en réunion de concertation pluridisciplinaire – RCP), la cadence des rendez-vous reste soutenue, et laisse rarement le temps à l’intégration de cette nouvelle information.

Déjà il faut préparer les traitements, et cela nécessite parfois certains soins ou actes médicaux tels que des soins dentaires, une pose de « porth-à-cat » (qui est une chambre implantable que l’on glisse sous la peau et qui est reliée à un gros vaisseau sanguin), un prélèvement d’ovocytes ou de spermatozoïdes pour préserver la fertilité, …

Toujours autant d’expériences et de mots parfois nouveaux, souvent anxiogènes voire traumatisants, toujours avec des délais d’attente plus ou moins vécus comme interminables. 

Que les traitements commencent ! 

Parfois ils sont « simples », dans le sens où une seule technique va être utilisée (par exemple la chirurgie seule).
Parfois il est proposé plusieurs traitements réalisés en même temps – on dit qu’ils sont concomitants. Par exemple la radiothérapie en même temps que la chimiothérapie dans certains cas -.
Parfois ils sont l’un à la suite de l’autre avec un temps de pause plus ou moins important entre les deux (pouvant varier entre quelques jours et quelques semaines). Par exemple la chirurgie, puis la chimiothérapie, puis la radiothérapie. 

Une chose est sûre c’est que chaque traitement a des répercussions sur la qualité de vie, plus ou moins long, plus ou moins important, pouvant aller de la fatigue à la perte des cheveux, en passant parfois par la perte de libido. 

Chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie, stéréotaxie, curiethérapie, hormonothérapie, thérapie ciblée, immunothérapie, greffe, essais thérapeutiques, oncogénétique, … Examens de contrôle, suivi, …

Encore et toujours autant d’expériences et de mots parfois nouveaux, souvent anxiogènes voire traumatisants, toujours avec des délais d’attente plus ou moins vécus comme interminables. 

Quelles sont les particularités du traumatisme en cancérologie ?

Comme on peut le deviner à la lecture de la partie précédente, tout ce qui est susceptible de générer du stress, de l’anxiété voire des angoisses, n’est pas réellement limité dans le temps. 

Avec le cancer, les choses s’accumulent au fil des évolutions et des involutions de la maladie et des annonces. 

Cette réalité est importante à comprendre et à prendre en compte, car elle est très différente d’un état de stress post-traumatique « classique » que l’on peut vivre à la suite d’un événement « isolé ».

En cancérologie, aucune stratégie d’évitement n’est possible et envisageable, car pour s’en sortir, il faut chaque jour se confronter au réel de la maladie et des traitements, mais également à un futur parfois anxiogène et incertain (certains patients parle d’épée de Damoclès). 

« Même s’ils doivent renoncer à leur mode de vie « d’avant », les malades ont besoin de sentir qu’ils continuent à faire « partie du club ». Le club des vivants qui font des choses et qui vivent leur vie. »

David Servan-Schreiber

 

Comment adapter et appliquer l’EMDR aux spécificités de la cancérologie ?

Le temps médical n’attend pas.
Le temps médical n’attend pas que le cheminement psychique soit amorcé, il n’attend pas que le patient soit prêt pour se poursuivre, il n’attend pas que les choses soient totalement intégrées. 

Le temps médical et le temps psychique n’ont pas la même cadence, le même rythme, la même temporalité. 
Et en tant qu’accompagnante, en tant que thérapeute, il est primordial d’avoir conscience de ça. 

Cela implique avant tout une adaptation à l’état du patient au jour le jour, selon son état physique et psychique, sa demande et ses besoins. 
L’adaptation doit parfois aussi se faire selon le temps que nous avons ensemble, ses autres rendez-vous, et s’il est seul ou non (exemple de la chambre double ! Vive la confidentialité). 
Cela signifie que l’EMDR n’est pas toujours possible, ou alors de manière adaptée (j’y viens…).

Combien de séances ai-je reportées parce que la chimiothérapie diffusait encore ses effets ? 
Combien de séances ai-je avancées parce qu’un rendez-vous spécifique particulièrement anxiogène avait été programmé en dernière minute ?
Combien de séances ai-je créées et improvisées parce qu’une annonce avait mis une personne en état de choc, le médecin ne sachant pas quoi faire ?

Adaptation je vous dis !

Il y a également la contrainte du temps, ou plutôt de la temporalité. 
C’est-à-dire, comme écrit plus haut, que les différentes étapes s’enchaînent rapidement les unes après les autres, et ne laissent que rarement le temps à l’intégration totale de ce qui est vécu avant la suivante.  

L’EMDR dans son application à la cancérologie, se doit donc d’être opérationnel et efficace (hors cancéro aussi me diras-tu…), orienté vers le présent et le futur (bien plus qu’orienté vers le passé comme dans le protocole standard). 

Les principaux protocoles EMDR utilisés dans ma pratique 

J’ai bien conscience que ce titre peut glacer, donner la sensation que je ne vois l’accompagnement de mes patients qu’à travers des protocoles, qu’à travers leur maladie ou leurs symptômes, dénuée de toute sensibilité, de toute authenticité, de bienveillance et de vision d’ensemble… 
Si vous me connaissiez, vous sauriez aussi à quel point je reçois et accueille chaque patient dans tout leur Être, dans toute leur singularité et dans toute leur magie. 

Le protocole « ressources pour le futur » en 5 étapes d’Udi Oren (un peu adapté)

C’est une approche solutionniste. 
Il s’agit de se préparer à un événement potentiellement traumatique ou imaginé/projeté comme tel, et d’aider le patient à faire émerger et installer les ressources nécessaires pour y faire face au mieux.
Les ressources choisies ? 
Les siennes, celles dont il sait avoir besoin pour mieux gérer la situation (comme par exemple passer une IRM, se rendre au bloc opératoire, ou même reprendre son travail). 
Cette pratique permet souvent d’éviter un vécu traumatique, et renforce l’estime de soi du patient, sa confiance en soi et en l’avenir : il a des ressources, et elles peuvent être mobilisées !

Ce protocole est réalisable en une séance unique d’une heure pour une situation donnée. 
Je le trouve particulièrement adapté à la cancérologie (tout comme pour d’autres spécialités médicales) d’autant plus que j’ai une immense contrainte institutionnelle : je dois prendre tous les patients qui sont en demande, et à aucun moment je ne peux dire que je ne prends plus de nouveaux patients. Mes délais également se doivent d’être courts, car je le rappelle, le temps médical n’attends pas !

Notons également que ce protocole est souvent efficace dans les cas de nausées anticipatoires lors de la chimiothérapie ! (ces propos ne sont pas sourcés, il s’agit juste de mes observations)

Le protocole des évènements récents

Il a été démontré que la mémoire ne se « consolide » pas tout de suite sous forme de mémoire à long terme, et qu’un évènement récent (ayant eu lieu il y a moins de 3 mois) peut se retraiter en EMDR sans forcément aborder la vie toute entière du patient (je vulgarise vraiment beaucoup là). 

Prenons l’exemple d’une personne qui a vécu sa pose de Port-à-cath (PAC) de manière traumatique parce qu’elle est tombée sur un connard de chirurgien (c’est rare, mais malheureusement ça arrive). 
Nous pouvons donc imaginer aisément que cet évènement risque de conditionner toute la suite de la prise en charge de cette personne : elle a eu très mal et ne s’est pas sentie respectée (non respectée comme quand elle était enfant puis ado d’ailleurs), elle a peur d’avoir mal de nouveau, se renferme et se crispe, ce qui majore son vécu douloureux des soins suivants, renforce sa perte de confiance dans le corps médical et donc sa foi dans sa guérison… par exemple.

Dans ce cas là, il est important de retraiter desuite cet événement récent pour que la suite des soins se passe au mieux, non teintée de cet inadmissible épisode de pose du PAC. 

Le protocole standard lui, nous aurait d’abord fait travailler sur son enfance et son adolescence pendant possiblement plusieurs mois avant d’arriver à ce qui vient de se passer, tous ses soins auraient possiblement déjà été terminés…

Le protocole trauma simple 

Comme son nom l’indique, il s’agit de travailler sur un évènement isolé, souvent identifié comme très marquant dans la vie d’un individu. 

J’ai en tête un ancien patient, retraité de la gérance d’une entreprise de pompes funèbres. Il a été hanté pendant plus de 30 ans par la prise en charge d’une petite fille décédée dans des conditions sordides. 
Nous avons travaillé « uniquement » sur cet évènement pour lequel il avait encore des reviviscences et un important émoussement émotionnel. Trois séances auront suffi pour lui procurer un profond apaisement !

Le protocole standard 

Ma contrainte institutionnelle et la nécessité de recevoir les patients rapidement, ne me permettent malheureusement pas d’appliquer ce protocole de manière optimale et prioritaire. 

Mais je rêve d’un monde où la considération du soin psychique sera au moins égale à celle du soin médical (physique / organique ?!), et où les vrais moyens seront mis en place pour offrir ce genre de prise en charge à tous les patients qui le désireront. 

La littérature propose également d’autres protocoles 

Ils ne font pas partie de ma pratique mais il me semble important de vous les partager, peut-être qu’ils pourront vous aider, vous ou vos patients…
Il s’agit du protocole flash-forward, du scénario du futur et du protocole de Leeds.

Par ailleurs, deux études ont été menées par l’équipe de Jarero et coll. (en 2015 et 2018) en utilisant le protocole EMDR-IGTP. Leur protocole administre les huit phases du traitement EMDR individuel à un groupe de patients en utilisant une composante de l’art-thérapie (c’est-à-dire des dessins) et le « butterfly hug » (BH – le « câlin de papillon », une méthode de stimulation bilatérale autoadministrée utilisée pour traiter le matériel traumatique).
Leur étude de 2015 a pu montrer qu’après six séances d’EMDR-IGTP, on observe une diminution significative des symptômes d’état de stress post-traumatique liés au diagnostic et au traitement de différents types de cancer chez des femmes adultes. Les effets se maintiennent lors de la séance de suivi, 90 jours plus tard.

En guise de conclusion : EMDR en cancérologie, une approche psychothérapeutique de choix pour tous !

L’EMDR est donc une approche psychothérapeutique de choix pour accompagner les patients, mais aussi bien évidemment les aidants et les soignants, tout au long des soins, avec une adaptations du travail thérapeutique basé sur le présent et sur le futur proche. 

Et j’insiste sur la prise en charge aussi des aidants et des soignants parce que j’estime ne pas en avoir assez parlé dans cet article alors que c’est vraiment très important !

Un aidant qui va bien, un soignant qui va bien, c’est un patient qui est accompagné au mieux…

Cette pratique permet une réduction des troubles réactionnels classiques, une meilleure stabilisation des personnes, et surtout une mobilisation des ressources ! 

Alors, bougeons les yeux pour aller mieux !! 🙂

Pour aller plus loin, et peut-être mieux comprendre et approfondir, j’ai partagé dans un autre article le témoignage de Julie : quand EMDR en cancérologie et spiritualité font alliance sur le chemin de la guérison. 

BIBLIOGRAPHIE : 

« L’EMDR – Préserver la Santé et prendre en charge la maladie », Cyril Tarquinio, 2015. 

« Thérapie EMDR en psycho-oncologie, un pont entre le corps et l’esprit », Faretta, Elisa, Civilotti, Cristina, Journal of EMDR practice and research, vol 11, chap 4, 2017

Etude pilote de faisabilité d’une nouvelle psychothérapie de prise en charge psycho-oncologique chez des patientes traitées pour un cancer du sein invasif : La psychothérapie Eye Movement Desensitization Reprocessing (ou EMDR)
Porteur : Pr Cyril Tarquinio, chercheur APEMAC/EPSAM EA 4360, directeur Centre Pierre Janet. 2018

« EMDR, son rôle lors d’un cancer du sein » : site internet du blog du groupe sein CHL, 2019.

« le protocole EMDR intégratif de traitement de groupe pour les patients atteints de cancer », Jarero, Artigas, Garcia, Uribe, Journal of EMDR practice and research, 2018. 

Vous aimez cet article ? Partagez-le

Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin

Laisser un commentaire